Un article écrit par le Dr Laurence Massip en 2018 dans la revue IPMG : Informations professionnelles des médecins de la Gironde
L’arthrose a été longtemps définie comme une maladie dégénérative des articulations d’origine mécanique, liée au vieillissement et caractérisée par la perte progressive du cartilage. Mais les connaissances sur la physiopathologie de l’arthrose ont beaucoup évolué ces dernières années. En réalité, l’arthrose est une maladie de l’articulation dans son ensemble, se développant sur un terrain inflammatoire à bas bruit, en alternance avec des poussées aigues.
Ce syndrome destructeur et inflammatoire est associé à différents facteurs de risque : le surpoids, le syndrome métabolique, l’inactivité physique, le surmenage articulaire, le déséquilibre postural, le vieillissement et principalement un contexte de déséquilibre nutritionnel se traduisant par : une acidose métabolique latente, une inflammation de bas grade (déficit en acides gras insaturés), un stress oxydant (excès de radicaux libres et déficit d’apport en antioxydants), une hyperperméabilité de la muqueuse intestinale liée à une hypersensibilité alimentaire générant de l’inflammation.
La physiopathologie de l’arthrose
Le cartilage n’étant pas vascularisé, l’hydratation est un facteur important de la protection du tissu conjonctif cartilagineux. Ainsi, la déshydratation prédispose au développement rapide de l’arthrose. La nutrition du cartilage est également essentielle, l’arthrose évoluant sur un déséquilibre anabolisme/catabolisme.
Secondairement, un stress oxydant et des lésions inflammatoires s’installent au niveau du tissu cartilagineux. A ce stade plus tardif, des états inflammatoires de bas grade (repérage biologique avec la CRP ultrasensible) et des déficits en micronutriments (surtout la vitamine D et le magnésium) favorisent des contractures musculaires. C’est ainsi que les poussées inflammatoires et les états inflammatoires de bas grade participent à l’évolution de l’arthrose et à la douleur ainsi qu’à l’impotence fonctionnelle.
La stratégie micronutritionnelle
En micronutrition, face à un trouble chronique, il est primordial de raisonner sur l’apport de nutriment impliqué, mais aussi sur son assimilation, sur l’état de l’écosystème intestinal, source majeure de processus inflammatoires propres à se propager, sur le stress oxydant et sur l’acidose métabolique latente.
L’arthrose évoluant sur un terrain de déficit micronutritionnel, la prise en charge de ces troubles va reposer :
. sur l’apport optimal de micronutriments s’opposant à la dégénérescence du cartilage et d’éléments nutritifs favorables à l’anabolisme du tissu conjonctif
. sur la modulation des états inflammatoires
. sur la gestion du stress oxydant
. sur la correction de l’acidose métabolique latente
Les micronutriments impliqués dans la protection du cartilage
En premier lieu, il est essentiel d’assurer une nutrition efficace du tissu conjonctif en lui apportant l’ensemble des nutriments et micronutriments indispensables.
Si l’eau constitue le premier traitement, les protéoglycanes, naturellement présentes au sein du tissu cartilagineux, sont devenues incontournables. Des études contrôlées ont démontré leur efficacité en synergie : la glucosamine sulfate (1500 mg/j) impliquée dans le maintien et la résilience du cartilage et la chondroïtine sulfate (800mg/j) diminuant les symptômes inflammatoires en favorisant la reconstruction du cartilage et en inhibant partiellement l’enzyme qui le détruit.
Divers micronutriments ont également montré un intérêt : des dérivés soufrés tels que la N-acétyl cystéine en cas de poussées inflammatoires, des insaponifiables de soja et d’avocat pour leurs effets trophiques sur le cartilage et le tissu conjonctif, du silicium de nature organique pertinent dans la prise en charge de l’arthrose.
Les micronutriments impliqués dans l’inflammation de bas grade
La stratégie consiste donc à identifier et à corriger tous les facteurs favorisant l’inflammation à l’origine de l’accélération de la destruction du cartilage.
La micronutrition fait de l’optimisation des fonctions digestives, le préalable à toute prise en charge réussie des états inflammatoires permanents. En effet, la restauration d’un écosystème harmonieux est nécessaire à l’atténuation des troubles à distance, y compris ceux à caractère chronique.
Des situations telles que notre alimentation moderne, le stress, les médicaments (et notamment les AINS), les agents chimiques, certains aliments à l’origine d’une hypersensibilité altèrent l’intégrité de la muqueuse. En ce sens, il convient de réparer et de soutenir les barrières intestinales afin de prévenir l’entrée d’antigènes déclenchant la réponse inflammatoire.
Pour protéger l’intégrité de la muqueuse intestinale en cas d’hyperperméabilité, la glutamine, les vitamines B3, B9, B12, la vitamine D, le magnésium et le zinc, sont des nutriments incontournables.
En parallèle, si l’inflammation est bien installée, une éviction temporaire d’aliments irritants pourra être proposée afin d’épargner la muqueuse.
Enfin, un rééquilibrage du microbiote à l’aide de prébiotiques et de probiotiques et une alimentation anti-inflammatoire (régime crétois) seront également envisagés pour un meilleur écosystème intestinal.
Dans un deuxième temps, lorsque l’écosystème intestinal sera restauré, des stratégies complémentaires seront mises en place dans le but de diminuer l’inflammation de bas grade.
Il convient de moduler les voies de signalisation cellulaire qui interviennent dans l’inflammation : en effet, des kinases interviennent dans les processus inflammatoires en activant le NF-kappa B qui déclenche la transcription des gènes de l’inflammation. L’objectif sera de réprimer ces kinases à l’aide de houblon, thé vert, curcuma, gingembre, quercétine, pour diminuer ainsi la transcription des gènes codant pour la phospholipase A2 et la cyclooxygénase 2 et la PGE2 (eicosanoïdes).
Un mauvais équilibre entre les différentes familles d’acides gras polyinsaturés constitue un élément majeur participant à la chronicité de l’inflammation. Nous savons que la réponse inflammatoire peut être exacerbée par un apport alimentaire trop important en acides arachidoniques (acides gras oméga 6) par rapport aux acides eicosapentaénoïques ou EPA (acides gras oméga 3), les médiateurs de l’inflammation (prostaglandines et résolvines) étant fabriqués à partir d’acides gras longues chaînes (EPA, DGLA, AA, DHA).
Ainsi, une consommation excessive d’acide arachidonique conduit à la synthèse de prostaglandines inflammatoires alors qu’au contraire, les EPA permettent la synthèse de prostaglandines anti-inflammatoires.
Malheureusement, l’alimentation moderne est souvent à l’origine d’un rapport AA/EPA très élevé (de 15), synonyme d’inflammation, délétère sur notre organisme.
Une alimentation riche en poissons gras et/ou une complémentation en acides gras oméga 3 (EPA) permettront de diminuer ce rapport acide arachidonique/EPA. Par ailleurs, magnésium, zinc et vitamines du groupe B soutiendront les voies de synthèse des oméga 3 et oméga 6.
Enfin, pour empêcher l’inflammation de s’installer, il sera vivement conseillé de limiter tous les aliments pro-inflammatoires : les acides gras saturés, les acides gras Trans, les acides gras oméga 6 dont l’acide arachidonique, les produits sucrés et aliments à index glycémique élevés car l’hyperglycémie serait reliée à l’inflammation.
Les micronutriments impliqués dans le stress oxydant
Dans ce contexte inflammatoire, on assiste à une « flambée » de radicaux libres (stress oxydant) qui agressent tous les éléments moléculaires et toutes les architectures cellulaires. Pour soutenir les systèmes de défenses radicalaires (SOD et GPx), il sera judicieux d’apporter certains cofacteurs (zinc, sélénium, cuivre et manganèse) et d’opter pour une alimentation riche en antioxydants tels que vitamines A, C, E, flavonoïdes et autres composés végétaux.
La prise en charge de l’acidose métabolique latente
L’acidose est l’autre grand ennemi des articulations. Sa cause est principalement alimentaire : excès de consommation de sel, d’aliments acidifiants pauvres en minéraux (indice PRAL). Des aliments alcalisants et la réduction du sel de l’assiette seront alors recommandés.
L’évolution des connaissances sur l’arthrose ouvre donc de nouvelles perspectives et permet d’adapter à chaque patient différents moyens thérapeutiques médicaux ou non médicaux. Parmi les nouvelles approches possibles, l’accompagnement micronutritionnel a aujourd’hui toute sa place.
Par Laurence Massip
Docteur en pharmacie
DU de micronutrition et alimentation santé (Université de Dijon)
Diplôme de consultante en nutrition (Californie)